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"SUCRE HIER"

25 février 2008

Un photographe ouvrier saisonnier à la sucrerie de Brienon

Sans_titre_27


1980, je viens de me planter avec un reportage photos invendues pour lequel j'avais engagé temps, argent, et famille. Assumer un loyer parisien devient difficile. La proposition parentale d'un logement modeste et modique nous fait échouer à Laroche Migennes. Il me faut me résoudre à perdre ma vie à la gagner. La saison de la campagne sucrière va débuter en septembre pour une durée de 3 mois : l'aubaine. En effet en ces temps reculés de la fin du XXe siècle, les travailleurs salariés bénéficient d'une année d'indemnités de chômage après 3 mois de travail. Je pourrais donc ensuite me consacrer plus facilement à ma destinée imagée.

Toujours reporter pigiste, je demande au directeur de la sucrerie, M. Albert Ballan, l'autorisation de photographier la campagne sucrière ici à Brienon pour le compte de "Viva la compagnie des Reporters". Autorisation accordée à la condition de ne photographier qu'en dehors de mes heures de travail. La sucrerie produit du sucre 24h sur 24h ce qui impose de faire des rotations d'équipes toutes les 8h. Une semaine en poste de 13h à 21h la suivante de 21h à 5h, la troisième de 5h à 13h. Participer à la production du sucre pour bonbons, caramels, pâtisseries et autres plaisirs du palais est un boulot somme toute assez noble pour le gourmand que je suis.


Semaines après semaines le parisien tête de chien se fait accepter par ses collègues de labeurs comme parigot tête de photographe. Je tente avec leur complicité d'écrire avec la lumière, une réalité besogneuse qui transpire dans la ville et la campagne environnantes. La force de caractère de ces hommes m'impressionne autant que ma pellicule. Avec mon Leica R3 muni d'un 28mm, 50mm, 90mm et 180mm, de pellicules positives couleur Agfachrome et Ektachrome de sensibilités 100 à 400 iso, au milieu du bruit, du froid, de la chaleur, de l'humidité, du manque de lumière, je "portraitise" plus que je saisis sur le vif. 80 photos sont sélectionnées par La Compagnie des Reporters parmi les quelque 200 diapos faites. Elles ont illustré des articles dans plusieurs magazines, en France, Suisse, Espagne. En voici quelques unes accompagnées de citations autour du labeur.

Neil Jamon alias jean.Milon


crevassses

Les travailleurs manuels sont licenciés en doigts.
Bruno Masure


bob

Le Travail n'épouvante que les âmes faibles.
Louis XIV


gege

Appétit : instinct délibérément implanté par la providence
afin de servir la mûse du travail.
Ambroise Bierce


chauxvive

Le travail éloigne de nous trois grands maux :
l'ennui, le vice et le besoin.
Voltaire


josua

Le propre du travail, c'est d'être forcé.
Alain


comptable

Avoir de l'autorité sur autrui n'est rien d'autre
que d'exploiter son travail.
Léon Battista Alberti


lafleur

L'oisiveté est, dit-on, la mère de tous les vices,
mais l'excès de travail est le père de toutes les soumissions.
Albert Jacquard


diplome

La vie n'est pas le travail : travailler sans cesse rend fou.
Charles de Gaulle


lassitude

Tout salaire mérite travail.
Yvon Gattaz


gigi

Nous devons prendre conscience que le travail ne constitue plus,
désormais, l'essentiel d'une vie.
Jacques Chirac


dehors

Le travail est si bien divisé que l'un travaille et que l'autre récolte.
Laza del Vasto


jo

Travailler plus pour gagner plus.
Nicolas Sarkozy


jack_gabi

L'artiste qui renonce à une heure de travail
pour une heure de causerie avec un ami sait qu'il sacrifie une réalité
pour quelque chose qui n'existe pas.
Marcel Proust


jose

Le premier des droits de l'homme c'est la liberté individuelle,
la liberté de la propriété, la liberté de la pensée, la liberté du travail.
Jean Jaurès


jojo

J'aime le travail : il me fascine.
Je peux rester des heures à le regarder.
Jérôme K. Jérôme


josuajpg

Le domaine de la liberté commence là
où s'arrête le travail déterminé par la nécessité.
Karl Marx


gegene

Les machines semblent avoir été inventées
pour nous éviter les fatigues, mais tous les travailleurs
travaillent beaucoup plus depuis qu'ils s'en servent.
Jean Paulhan


lescopains

Partout où l'homme apporte son travail,
il laisse aussi quelque chose de son coeur.
Henryk Sienkiewicz


leboss

Le progrès existe, c'est certain. L'américain moyen paie maintenant
en impôts deux fois ce qu'il avait avant en guise de salaire.
Henri Louis Mencken


lespotes

Tout métier qui ne fait pas oublier le travail est un esclavage.
Henri Jeanson


marcel

Après le salaire minimum, pourquoi ne pas instituer
une rémunération maximum.
Jean-François Kahn


lobus

Le travail est l'activité vitale propre au travailleur,
l'expression personnelle de sa vie.
Emmanuel Kant


mireille

Si le travail c'est l'opium du peuple,
alors je ne veux pas finir drogué.
Boris Vian


nenesse

L'automatisation : système simplifiant tellement le travail
qu'on finira par avoir besoin d'un cerveau électronique
pour se tourner les pouces.
Noctuel


moins10

Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles,
aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ?
Michel Foucault


talbo

Le travail du corps délivre des peines de l'esprit
et c'est ce qui rend les pauvres heureux.
François de La Rochefoucault



sieste

L'effort humain n'a pas de savoir-vivre,
l'effort humain n'a pas l'âge de raison,
l'effort humain a l'age des casernes,
l'âge des bagnes et des prisons,
l'âge des églises et des usines,
l'âge des canons.
Jacques Prévert


tutu

Dans la construction d'un pays,
ce ne sont pas les travailleurs manuels qui manquent,
mais bien les idéalistes et les planificateurs.
Sun Yat-Sen



tasse

En général, on donne plus facilement l'aumône à un misérable
qu'un salaire honorable aux travailleurs.
Lajos Kassàk


tapis

Le travail c'est la santé...
Mais à quoi sert alors la médecine du travail.
Pierre Dac


tintin

Ce n'est pas le travail qui est la liberté :
c'est l'argent qu'il procure, hélas !
Gilbert Cesbron


laclop

Le travail d'équipe est essentiel. En cas d'erreur,
ça permet d'accuser quelqu'un d'autre.
Bernard Menez


boireuncanon

Le travail est la plaie des classes qui boivent.
Oscar Wilde


pepere

La vie fleurit par le travail.
Arthur Rimbaud


solo

Le monde occidental est passé en quelques années de
l'exploitation du travail à l'exploitation intensive du capital.
Peter Drucker


pinpin

La France ne s'en sortira pas en alignant
ses salaires sur ceux des pays émergents.
Ségolène Royal


vestiaire

J'ai toujours pensé que les salaires devaient s'établir
en raison inverse de l'intérêt que l'on prend à son travail.
Françoise Giroud


tonio

A mon avis, vous ne pouvez pas dire
que vous avez vu quelque chose à fond
si vous n'en avez pas pris une photo.
Emile Zola


"Imagines-tu, si il m'arrivait de comprendre ces dégoûts... pas les éliminer : les comprendre... je pourrais alors aller travailler avec les autres sans devoir récapituler tous les matins les raisons qui m'obligent à me lever, sans cette oppression dans l'abdomen".

C'était à chaque fois comme-ça. Quand le printemps soufflait, on ne sait pourquoi une brise émouvante, et qu'il passait devant la sucrerie de Brienon rejoignant sa soirée, le premier jour d'un de ses CDD : "Sentir à nouveau comment mon corps va avec mes contemporains... et quand je dis "va avec"... c'est plus : comment ça travaille ensemble ??... ou non tiens ! Plutôt quels travails... euh ! Travaux ! ... non non, ça ne va pas de mettre trav-aux, c'est quels trav-ails qu'il faut... chacun le sien... sentir le travail et quels travails permettent d'être ensemble... enfin ! "d'être" ?... de former de l'ensemble... plus cool de mettre "former", quand même... sentir comment le travail nous forme les uns avec les autres... sentir comment ça forme un gros mot tout ça : la-SO-ciété... Tout ça c'est mon identité... mon identité de maintenant...".
Au bistrot à côté de la sucrerie, il ne parvenait pas à s'arrêter.

Je pourrais circuler non enrôlé. Non enrôlé par cette putain d'idée de résolution technique des problèmes qui viennent toujours et toujours, et viendront pour toujours continuer à venir...

Je pourrais peut-être même trouver un travail qui permettra à mon corps comme à d'autres de changer de désir. Un désir de changement ! A ne plus pouvoir être là ! Là où la valeur du travail se réduit à la quantité de joules que les corps dépensent et dispensent contre toute sorte de rémunérations... Et être là enfin où l'amour jouit les corps pour le travail effectué et a plus seulement à les consoler de leurs meurtrissures boulotiques. Si je sais tout ça...

De retour de la sucrerie sa soirée commencée, le corps sur le canapé, d'un trait comme une eau qui coule sans s'arrêter il se disait : "Qui peut croire que la vie, entre naissance et mort, ait à se représenter d'abord comme une éducation au travail sans souci de ce qu'il est et de ce qu'il doit être ; puis comme passage dans le travail lui-même, toujours sans souci de ce qu'il est et de ce qu'il doit être ; suivi d'une période où le travail se retire et laisse le champ libre, la retraite, si toutefois des habitudes, des tournures de vie difficiles à se départir n'ont pas imprimé les corps, si toutefois l'amputation du travail et l'absence du souci de sa présence ne donnent pas la mystérieuse douleur du membre fantôme qui ne se soigne que par les frénésies du loisir ou de l'ennui (toujours sans le souci de ce qu'il est et de ce qu'il doit être, ce travail) ; et en arriver enfin à la mort, pas même en touriste, mais en client... Pour vivre comme ça ne faut-il pas croire à la justesse de "ça" ? Sinon pourquoi vivre comme "ça" ? Sinon pourquoi, si la vie est comme "ça", ne pas se mettre en branle pour changer "ça" ? L'amour est là, qui apaise et console. Qui apaise et contrôle."

"Bosse et baise !" non !

"travaille et aime !

Ankylosé encore de sa journée, le corps devait se mettre à son travail... un travail que personne ne lui avait donné... c'était au moment de l'apéro... ou en préparant un "petit frichti"... comme pour y voir clair enfin... casser minutieusement ce qui se formait dans sa tête tout en le laissant se former quand même... une navigation en plein brouillard... tant pis !... critiquer quand même radicalement sa conscience en la laissant souveraine... souveraine d'elle même... ne rien oublier aussi... comment procéder ? C'est par ce genre de travail qu'il semblait arriver au monde : ce "peut-être ben que me voilà" à la place du "je suis"...

Et le boulot trahissait le travail...

L'immense immensité ne se calmait que par l'imagination.

Philippe Vaernewÿck



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